Le 13 mars 1765, en milieu de journée, la bête attaque une femme et ses trois enfants dans leur jardin au hameau de la BESSIERE, sur la paroisse de SAINT-ALBAN.
Le curé BERAUD de SAINT-ALBAN, mis au courant de l'attaque de la bête contre Jeanne JOUVE et ses enfants, se rendit à son chevet et rédigea un rapport pour l'Evêque de MENDE:
"Mgr l'Évêque, je dois à votre grandeur le récit circonstancié du spectacle mémorable qu'une mère généreuse vient de nous donner dans la paroisse……Elle a défendu peut-être une demi-heure deux de ses enfants attaqués par la trop fameuse Bête féroce et elle lui en a arraché un troisième à plusieurs reprises, mais blessé dangereusement. Jeanne CHASTANG, femme de Pierre JOUVE est cette mère malheureuse qui mérite un meilleur sort. Mère de six enfants dans son septième lustre d'une faible et mince complexion, elle avait trois de ses enfants autour d'elle à l'heure d'environ midi dans un jardin au devant de sa demeure à dix pas. Elle faisait avec eux son petit dîner en leur faisant prendre le soleil……Elle se retirait vers la maison et était déjà à la porte du jardin, un petit garçon de six ans devant elle et à ses côtés une fille de 9 ans qui portait dans ses bras un petit frère d'environ quatorze mois………Elle entend tomber une pierre de la muraille et se retournant, elle voit sa fille prise par la Bête au bras et renversée sous ses yeux avec le petit qui était entre ses mains. Cette petite fille serre davantage ce petit enfant dans ses bras et s'attache à le conserver. La mère s'oubliant elle-même et ne remarquant même pas le péril se jette courageusement sur la Bête et la force à lâcher le bras de la fille, qui se relève et s'efforce d'éloigner l'animal à coup de pied, n'ayant pas la liberté des bras. Le féroce animal revient à la charge contre cette fille et le dépôt et les jette à la muraille. La mère les couvre de son corps et les garantit, mais elle n'a pas le temps de craindre pour ce petit garçon qui se trouvait derrière elle, occupée à défendre les deux autres.
Elle n'est appelée à lui que par le bond de l'animal, qu'elle voit se lancer sur lui. Elle se jette comme un éclair contre lui et la Bête la prend de ses griffes par le bras et la renverse et vole sur l'enfant, qui invoque sa mère et l'aide par ses cris à se relever. Le courage seul la dirige et lui inspire les expédients. Elle s'élance de côté sur l'animal, le serre de ses genoux et lui presse le col contre sa poitrine de ses faibles bras. L'animal tombe et s'agite, et secoue cette femme, qui se relève et revient au combat. Le combat recommence jusqu'à huit et dix fois. La mère reçoit des coups de griffes sur sa poitrine et autour de son corps ; elle est serrée violemment au bras. La coiffure lui est arrachée et elle est jetée à terre encore plusieurs fois. Et le petit garçon étant vers le milieu du jardin, la mère accourt pour l'arracher à l'animal et le fait lâcher. Mais il est repris et la mère attaquée de nouveau et renversée et l'enfant est porté au bout du jardin. La tendre mère se relève armée d'une pierre, vole sur la bête et se mesure de nouveau avec elle en la frappant sur la tête à coups réitérés. Elle est encore renversée et son cher enfant emporté hors du jardin à travers des broussailles qui le ferment de ce côté. En un point où elles ne joignent pas exactement, la mère attend la bête au passage et la prend par un pied de derrière, mais elle ne peut la retenir. Elle la suit par la demi-ouverture de la haie et saute haut de près d'une toise aux pieds de son enfant que la bête tenait par la tête et s'efforce de le ravir à sa fureur. Mais en vain l'animal lui souffle avec véhémence au visage et sautant encore dans un pré y transporte l'enfant que la mère n'abandonne point. Elle saute aussi ; mais l'enfant est transporté loin de cent pas . La mère court vers son cher objet invoquant le ciel et ne pouvant faire parvenir ses cris jusqu'au domaine où est le reste de la famille.
Heureusement ses deux premiers fils se préparent dans le même moment à mener paître le troupeau. Le plus jeune, âgé d'environ treize ans, se trouve à la porte de l'étable, son espèce d'hallebarde à la main, entend les cris de sa mère et y répond en y accourant, le chien avec lui. Le dogue le prévient, assaille la Bête à la tête et la renverse à terre. L'enfant arrive, donne par derrière à la Bête un coup de sa hallebarde qui n'entre point ; mais la Bête lâche l'enfant et monte en un champ. Le chien monte avec elle et l'attaque encore ; mais l'animal le rejette à quatre pas et disparaît. Le petit garçon se relève couvert de son sang et court vers sa mère qui était arrivée sur le lieu, lui demandant de le délivrer de cette Bête dans la gueule de laquelle il se croyait encore. Elle n'a pas remarqué son autre fils qui était accouru, sinon lorsqu'elle l'a vu auprès de la Bête la frapper, sa tendresse l'exposait encore.
Le petit garçon a le nez emporté jusqu'à la racine, assez avant dans la tête pour faire craindre qu'il ne puisse pas guérir. Il a du reste la peau extérieure du crâne emportée par derrière, non au milieu. La mère et sa petite fille n'ont aucune plaie ."
L'enfant de Jeanne JOUVE mourut de ses blessures trois jours après le combat de sa mère contre la bête.
Le Roi fut informé de cette attaque et décida d'accorder une récompense à cette mère si courageuse ainsi que l'indique une lettre du 30 Mars 1765, rédigée à VERSAILLES, par le Ministre M. de SAINT FLORENTIN à l'intendant du Languedoc M. de SAINT PRIEST:
"J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire en m'envoyant l'extrait de celle que vous avez écrite M. De MORANGIES. Le Roi à qui j'ai rendu compte des faits qu'elle contient a cru devoir récompenser le courage avec lequel la femme de Pierre JOUVE a défendu ses enfants; et sa Majesté m'a chargé de vous marquer qu'elle voulait lui accorder une gratification de 300 livres . M. le contrôleur général doit pourvoir au payement de cette somme."
Ordonnance faite à MONTPELLIER, le 10 avril 1765, par SAINT PRIEST:
"Marie-joseph-Emanuel de GUIGNARD de SAINT PRIEST, Chevalier, Seigneur d'AVILET, RENAGE, BEAUCROISSANT et autres lieux, conseiller du Roi en ses conseils, maître des requêtes ordinaires de son hôtel, intendant de justice, police et finance en la province du Languedoc.
Vu la lettre à nous adressée par M. le contrôleur général, le premier de ce mois par laquelle ce ministre nous instruit qu'il a plu au Roi de l'autoriser à faire payer, à titre de secours, à la femme du nommé Pierre JOUVE, rentier du domaine de la BESSIERE, dépendante de la paroisse de SAINT ALBAN, la somme de trois cents livres; en considération des marques surnaturelles de courage qu'elle a données, malgré sa faible complexion pour défendre ses enfants en bas âge des attaques de la Bête féroce qui ravage le GEVAUDAN,
Nous ordonnons que la délivrance de ladite somme de trois cents livres sera faite à la femme du nommé Pierre JOUVE, par le sieur trésorier de la Province, qui en sera remboursé sur l'état que nous adresserons au Ministre de toutes les dépenses relatives au même objet, conformément à ce qui nous a été marqué précédemment par M. le contrôleur général."
Une gravure parue en 1840 dans 'LE JOURNAL DES CHASSEURS' évoque le combat de Jeanne JOUVE pour sauver ses enfants.[http://perso.club-internet.fr/shoes/histoire.htm ].
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